Conflit entre associés
Prévention, régulation et résolution
Auteur : Guillaume Coudray | Date : 7 nov 2018
Points de divergence, tensions, désaccords entre associés font partie de la vie d’une société. Utilisés à bon escient, ils nourrissent la créativité et participent à la dynamique de l’organisation. Néanmoins, lorsque la situation dégénère en conflit, que le dialogue est rompu au risque de mettre l’entreprise en danger, les associés peuvent se sentir démunis, pris en otage par leur relation conflictuelle…
Le caractère complexe des rapports entre associés
Les projets ne peuvent naître et grandir sans passion. L’association est un mariage qui demande une implication totale. Les associés s’investissent corps et âmes dans ce qui reste avant tout une « aventure commune ». Être associé, c’est en effet construire et piloter main dans la main, en tant que co-dirigeants, co-actionnaires, co-emprunteurs, etc. Cela signifie également très souvent être amis dans la vie privée.
Différences culturelles, rapport à l’argent, à la prise de risque, au pouvoir, gestion des contraintes et de la pression : les associés se découvrent nécessairement au gré des projets, face aux difficultés. Les aspirations personnelles, les envies, les comportements, évoluent également avec le temps.
« Rien n’est absolu, tout est changement, tout est mouvement,
tout est révolution, tout s’envole et s’en va »
– Frida Kahlo –
Affectif, engagement, proximité, enjeux financiers : les ingrédients d’une situation à caractère « explosif » sont réunis… si elle n’est pas maîtrisée.
Dans ce contexte, comment traverser le plus sereinement possible les situations de tension pour éviter de basculer dans le conflit ?
Limiter les conséquences néfastes d’un conflit
Le premier réflexe reste juridique : il semble important, avant de se lancer dans l’aventure de la création d’entreprise, de bien réfléchir sur l’organisation des relations entre associés et de définir les clauses et conditions de sortie qui seront mises en œuvre en cas de mésentente grave.
Cependant, dans l’enthousiasme du lancement d’activité, rares sont les associés, ou dirigeants actionnaires, qui jugent nécessaire la formalisation juridique pour parer à un éventuel conflit qui risquerait de mettre en péril leur entreprise.
Plus flexible et plus précis que le cadre strict des statuts de société, la rédaction d’un pacte d’associés (ou autre convention) devrait être envisagé. Il précise les règles d’administration de l’organisation et de fonctionnement entre les associés (droit de retrait du capital en cas de blocage, les modes de calcul de valorisation des participations, etc). Au mieux, il offre un cadre légal, que les associés pourront utiliser – ou non – en cas rupture consensuelle.
L’organisation juridique d’une séparation offre ce double avantage de faire prendre conscience des éventuelles conséquences d’un conflit et de permettre aux futurs associés de s’accorder un moment pour réfléchir ensemble au projet commun. Cette réflexion doit être considérée comme une opportunité d’apprendre à mieux se connaître et s’avère une étape clé vers un meilleur fonctionnement en équipe.
En ce sens, elle participe à prévenir les conflits (au-delà du sentiment de sécurité que procure aux signataires la rédaction d’un document contractuel).
Gardons néanmoins à l’esprit que la contractualisation d’un pacte d’associés ne permet en aucun cas d’éviter le conflit. D’autre part, on peut imaginer que, si des dispositions légales ont été pensées et organisées lors de la création de la structure, la gestion d’une situation de crise en sera grandement facilitée. Ce corollaire n’a rien d’une évidence : en cas de conflit, c’est à dire de blocage, l’ouverture à une solution qui convienne à chacun des associés ne repose souvent pas sur une approche juridique.
Pourquoi les dispositions légales ne sont-elles pas suffisantes pour sortir du conflit ?
Parce que le monde bouge : la société aux mains des associés se transforme, les attributions et rôles de chacun évoluent au fil du temps, en s’éloignant parfois significativement de ce qui avait été défini initialement. L’implication, l’investissement que chacun met dans son travail peut prendre des formes variées et reste difficilement quantifiable car faisant référence à des perceptions très personnelles.
Parce que la réalité, telle qu’elle est vécue au quotidien, sur le terrain, est bien souvent très éloignée de ce que ce qui peut être inscrit dans un contrat. Un associé ou actionnaire dirigeant reste avant tout un être humain, complexe, traversé de ressentis, d’émotions, de sentiments. Les composantes relationnelles et affectives sont omniprésentes et ne peuvent être mises de cotés.
D’autre part, en cas de litige, un associé ou un bloc d’associés a généralement recours à la procédure judiciaire, imaginant que le juge prononcera sans difficulté la séparation.
Malheureusement, la réalité n’est pas si simple : les tribunaux s’attachent à préserver la société, personne morale distincte de ses associés, et considèrent qu’il n’y a pas lieu, même si les associés sont en grave conflit, de l’anéantir, dès lors que l’entreprise fonctionne normalement (Article 1844-7 5° du Code Civil). Or, il est extrêmement fréquent que, même en cas de conflit entre associés, l’activité de la société ne soit pas totalement paralysée. Les juridictions commerciales n’ont pas vocation à entrer dans le cœur du conflit (origine de la mésentente) et se concentrent sur les fondamentaux du droit positif et en appliquant strictement les dispositions légales (pas de blocage, pas de dissolution).
L’avocat devra, le plus souvent, user de dispositions créées dans d’autres perspectives pour tenter de sortir son client de la situation de blocage. Pour cette raison, les conflits entre associés produisent des contentieux violents, longs, coûteux, épuisants psychologiquement, pour une issue au final très incertaine et souvent frustrante.
D’autre part, une posture de confrontation renforce et alimente le différend. Il faut se rendre à l’évidence : plus on tente de nous imposer une solution, moins nous aurons tendance à y adhérer (ego, quand tu nous tiens !). L’action juridique enclenchée, il sera d’autant plus difficile d’en sortir. Compliqué, dans ces conditions, de rebondir et envisager l’avenir sereinement…
Alors quelles solutions pour sortir d’un conflit entre associés ?
L’autorégulation des conflits
Si les associés sont souvent mal conseillés sur les aspects juridiques, ils sont encore moins armés pour réguler leurs propres conflits.
La première arme pour prévenir le conflit reste la capacité à entretenir une qualité de relation qui fait que le dialogue reste possible, même en cas de désaccord.
Lorsqu’une tension survient, la tentation est parfois grande de la minimiser ou d’éviter d’en parler par peur du conflit. Pourtant, le conflit n’est ni bon ni mauvais en soi. Révélateur d’un dysfonctionnement, c’est surtout la manière de l’aborder et comment on décide de le traiter qui s’avéreront primordiaux… et permettra d’évaluer, bien plus tard, s’il a été utile ou néfaste.
« Je suis agacé(e), en colère contre lui/elle, je ne me sens plus en confiance…
... comment puis-je en parler, sans envenimer la situation ? »
L’objectif n’est surtout pas d’être « d’accord sur tout » mais de pouvoir se dire les choses de manière acceptable. En effet, on néglige trop fréquemment lorsqu’on souhaite faire passer un message que la forme compte autant – voire plus – que le fond.
Nommer ce que l’on observe (calmement et de manière factuelle), partager l’effet que cela a sur soi (registre des émotions) pour se relier aux besoins qui ne sont pas satisfaits. Pour cela, je parle de moi, sans critiquer ni juger l’autre et en lui laissant la place pour s’exprimer.
Les tensions, lorsqu’elles portent sur la forme (comportement, styles et méthodes de travail) ou lorsqu’elles sont relatives à un désaccord sur une question de fond (définition de la stratégie, des priorités, etc) ne riment pas forcement avec conflit.
Le désaccord est inhérent à notre singularité : « je suis différent… comme toi ! ». Savoir mettre la diversité et la complémentarité au service des capacités créatives et de la performance de l’organisation représente un atout majeur et reste un gage de succès pour tout travail en mode collaboratif.
Consacrer un moment (ne serait-ce qu’un quart d’heure par semaine, idéalement sur un créneau prédéfini) pour prendre des nouvelles et échanger avec votre ou vos associés : « comment te sens-tu après cette réunion ? » ; « je te trouve tendu aujourd’hui… »
Une seule intention : être dans une qualité de relation qui favorise la coopération. Aucun objectif sous-jacent : on ne cherche ni a vouloir convaincre, ni a chercher qui a tort ou raison.
Mettez la qualité relationnelle au service de votre projet. Elle en est un élément vital, sans quoi rien ne sera possible.
Le fait d’adopter une communication authentique et bienveillante se mettra nécessairement au service de la confiance, pierre angulaire d’une relation apaisée et constructive. Voici une première clé de l’ingénierie relationnelle, un premier pas – simple et efficace – vers la régulation des conflits.
Une chose est sure : en cas de conflit, plus on attend, plus le problème sera difficile à résoudre. Mettre les difficultés de coté revient à renforcer les incompréhensions, alimenter les doutes, les hypothèses, la suspicion… ce qui va in fine participer à alimenter la crise.
Vous êtes en colère contre votre associé(e), ses choix vous laissent perplexe, son comportement vous agace, vous choque ? N’attendez pas… sachez vous exprimer avec assertivité, pour entretenir des relations constructives. Apprenez à mieux communiquer… et surtout à l’écouter. Des difficultés dans ce domaine ? Vous pouvez toujours vous faire accompagner par un professionnel.
Pourquoi mettre en place des espaces de discussion sur le travail ?
Partager la manière dont chacun vit les choses, parler de sa vision, mettre en perspective désirs individuels et projet collectif, parler du sens que le projet donne à chacun, est un exercice à faire régulièrement.
Parler également de ce qui fonctionne, par un exercice de feed-back croisés permet à chacun d’y voir plus clair. De simples ajustements dans le fonctionnement opérationnel ou l’actualisation de quelques règles de gouvernance peuvent déjà avoir un impact positif important.
L’incompréhension et les tensions proviennent souvent d’un écart perçu entre l’organisation officielle telle qu’elle est prescrite et l’expérience réelle vécue par chacun au quotidien. Il est également primordial de pouvoir clarifier les écarts de perceptions entre l’intention première de l’action entreprise par l’un des associés et les effets produits par cette même action sur un autre membre – ou sur l’ensemble – de l’équipe.
La formalisation d’un espace où l’on peut partager les expériences individuelles pour que chacun puisse mettre des mots sur sa perception du travail avec son ou ses associés permet de combler le fossé des incompréhensions. Cet exercice, en permettant de (re)créer du lien, influe largement sur le niveau de confiance et permet d’aboutir à la production de solutions collectives qui conviennent à chacun des associés, dans l’intérêt de l’entreprise.
Pour les raisons évoquées, inscrire un espace de discussion dans l’agenda de travail de chacun reste un moyen simple et efficace pour prévenir le conflit. Cette réunion devra néanmoins être réfléchie et structurée, pour éviter le règlement de compte improductif.
En savoir plus sur les espaces de discussion : rendez-vous sur le site de l'ANACT
Le réflexe médiation : au service de la relation entre associés
Chacun campe sur ses positions ? Le dialogue est devenu impossible ?
La santé de l’organisation est en danger ?
Quelle solution pour sortir de l’impasse ?
Dans la majorité des cas, nous savons résoudre nos conflits par nous-mêmes. Seulement parfois, quand les émotions sont trop prégnantes, quand le dialogue est rompu, ou quand la communication est si dégradée que les personnes ne sont plus en capacité de recul et de raisonnement pour entendre l’autre, la solution au conflit ne peut être trouvée sans l’aide d’un tiers. Un processus de médiation devient alors nécessaire.
Entièrement confidentiel, rien du contenu de la médiation ne sera dévoilé même si l’affaire devait finir devant les tribunaux, sauf accord unanime des parties.
Le « médiateur » est un tiers indépendant, neutre et impartial, sollicité d’un commun accord par des parties en litige, en vue de mener avec toute la diligence nécessaire le processus de médiation. Il doit être compétent, c’est à dire avoir été formé à ce métier (certification reconnue d’un minimum de 300 heures et analyse de la pratique) et professionnel (respect du code national de déontologie du médiateur, assurance responsabilité civile, nombreuses médiations à son actif).
Son rôle est d’accompagner les associés dans la reprise du dialogue pour aboutir à une issue qui convienne à chacun. Le médiateur n’a pas pour rôle de trancher le litige et ne propose en aucun cas une solution.
Rancœurs non exprimées, sentiment d’injustice, priorités personnelles divergentes, angoisses… les causes de tensions au sein d’une équipe d’associés sont multiples et les enjeux élevés. Le médiateur, tiers facilitateur, aide chaque associé à clarifier ses idées, à exprimer son ressenti et entendre les besoins du ou des autres acteurs. Dans une totale liberté de décision, il offre un « accompagnement éclairant » pour permettre à l’équipe d’associés de trouver ensemble le chemin qui leur conviendra pour s’entendre.
Lorsque chaque partie réussit à dépasser ses positions en identifiant ses propres besoins et ceux des autres, il est plus facile de trouver une solution fiable et durable, que ce soit pour un aménagement de la relation des associés ou en vue d’une rupture consensuelle.
La recherche d’entente accompagnée par un médiateur professionnel certifié, s’avère une approche efficace, rapide et peu onéreuse. La médiation, en se basant sur les principes structurants de libre adhésion et de responsabilisation des acteurs, place le dialogue et l’entente à la base de toute relation sociale. L’accord oral, qui peut se formaliser par un écrit, prend finalement le pas sur la législation et les documents contractuels.
Introduire une clause de médiation
Il est intéressant de prévoir d’avoir recours à un mode amiable de résolution des différends, dès la rédaction des statuts fondateurs. En cas de conflit, une clause de médiation engagera chacun des associés à entrer dans un processus de médiation, en premier lieu et avant toute procédure judiciaire.
Attention : la désignation d’un mandataire ad hoc, qui peut être demandé par les associés auprès du tribunal, ne doit en aucun cas être confondu avec le travail d’un médiateur professionnel certifié. Le mandataire ad hoc, souvent un expert économique ou financier, a pour objectif principal d'éviter la cessation d’activité en recherchant, avec l'aide du ou des mandataires, les meilleures solutions de rétablissement de l'entreprise. En gros, sa mission se focalise sur les aspects financiers, le temps pour les associés de trouver une solution au conflit qui les oppose.
En conclusion…
Pour dépasser les conflits, il faut surtout savoir les anticiper. Les associés doivent être conscients que les conflits font partie de la vie et qu’il est de la responsabilité de chacun de s’y préparer pour être en capacité de les traverser, que ce soit seul ou en se faisant accompagner.
En résumé, il est recommandé de ne pas négliger tout ce qui peut participer à la prévention de la dégradation d’une relation entre associés. En cas de conflit, l’intervention d’un tiers facilitateur (médiateur) pourra être envisagée, comme moyen de sortir de la situation de blocage ou en accompagnement d’une action contentieuse.
Prévention du conflit
o Dispositions légales
Contractualisation d’un pacte d’associés pour limiter les conséquences du conflit (sécurisation des acteurs)
o Autorégulation
Entretenir le lien et la confiance pour éviter les conflits (action fondamentale d’hygiène de l’équipe au service de sa dynamique, de son efficacité et de sa pérennité)
Résolution du conflit
o Médiation
Identifier, avec l’aide d’un tiers, une issue qui convienne à chacun (responsabilisation des acteurs pour trouver une solution acceptable et pérenne)
o Contentieux
Déléguer au juge la responsabilité de trancher le litige (stratégie de confrontation qui se traduit bien souvent en une démarche longue, onéreuse et psychologiquement éprouvante)