L'entretien préparatoire de médiation
Posture des acteurs et mise à distance du médiateur
Auteur : Guillaume Coudray | Date : 25 oct 2018
Après de nombreux entretiens préparatoires dans le cadre de conflits interpersonnels, j’ai pu repérer que certains traits comportementaux se trouvaient étroitement liés au fait que la personne soit, ou ne soit pas, à l’origine de la proposition de médiation.
Sans tomber dans la caricature, je propose de m’arrêter un instant sur les postures des acteurs en présence : le « demandeur », personne à l’origine de la demande de médiation et le « demandé », personne contactée par le médiateur dans le cadre d’une demande de médiation.
Victime ? Persécuteur ? Dès la phase des entretiens préparatoires, la neutralité du médiateur est mise à rude épreuve…
Quelle approche le médiateur doit-il adopter, pour mener au mieux cette première rencontre avec chacun des acteurs en conflit ?
En contexte de conflit interpersonnel, c’est à dire entre deux personnes, une étape cruciale du processus de médiation reste le moment des entretiens individuels préparatoires. Cette étape, préalable à une éventuelle rencontre de médiation, offre à chacun des acteurs un moment privilégié, pour faire connaissance avec le médiateur et créer ce lien de confiance, sans lequel rien ne sera possible.
Le récit, les ressentis, mais également les attentes y sont évoqués. Le médiateur peut alors prendre connaissance de la situation, telle qu’elle est vécue, de manière tout à fait singulière, par l’une et l’autre des parties en conflit.
C’est l’occasion pour le médiateur de présenter le cadre de la médiation et son processus (présentation de la convention de médiation). Il s’attache également à vérifier que les conditions pour entrer en médiation sont bien réunies.
Néanmoins, quand les personnes entre en contact avec le médiateur, elles sont généralement dans la même posture que lorsqu’elles vont voir le juge : elles tentent de convaincre, argumentation et preuves à l’appui.
L’entretien initial avec le « demandeur »
Le demandeur (personne à l’origine de la demande de médiation), se présente bien souvent comme « victime d’une situation qu’il subit et à laquelle il a tenté d’apporter des solutions qui n’ont pas abouti ».
Ses propos sont globalement de type « complainte » et, bien qu’il soit à l’origine de la demande de médiation, une certaine passivité dans la prise de responsabilité peut être identifiée : il vient chercher auprès du médiateur une réponse qui lui convienne, pour sortir de la situation conflictuelle dans laquelle il se trouve enlisé (« je suis victime… ne me demandez pas de trouver une solution ! »). Son analyse de la situation est très rarement pondérée par une lecture des évènements au prisme de l’altérité. Il ressent beaucoup d’énervement et de la colère.
En tant que médiateur, mes points d’attention sont :
o Montrer à la personne qu’elle est entendue en reconnaissant sa problématique et sa souffrance (accueil des émotions)
o Conduire la personne à clarifier ses besoins : s’extraire de la « demande initiale » pour, à partir de son ressenti de la situation et des émotions générées, identifier les besoins sous-jacents
J’insiste sur le cadre de la médiation, en travaillant avec la personne sur les conditions à réunir pour pouvoir instaurer un dialogue constructif avec l’autre et en l’aidant en ce sens à mettre de la clarté dans ses propos (identification des besoins de manière à formuler une demande claire et précise).
La proposition d’entretien au « demandé »
Bien souvent, le demandé (personne contactée par le médiateur dans le cadre d’une demande de médiation) adopte une posture de méfiance envers le médiateur. Il se sent accusé : « qui est cette personne à qui je dois rendre des comptes et qui a déjà rencontré la personne qui m’accuse à tort de lui pourrir la vie? »
Il est très étonné et bien souvent agacé d’avoir été sollicité par un tiers (« pourquoi ne vient-il pas me voir directement ? ») et peut même se sentir « touché dans sa dignité », s’imaginant « coupable » avant même d’avoir pu s’exprimer.
Dans ce contexte, son comportement naturel consiste à se protéger : ses propos restent axés sur la justification.
Mes points d’attention sont alors :
o Entendre la personne dans sa singularité : « ce n’est pas l’entretien pour répondre à votre voisin. C’est votre entretien à vous : dites moi ce qui fait difficulté pour vous »
o Recevoir la réticence du demandé à venir en médiation (assez fréquent) : expliquer, informer sans chercher à convaincre
En tant que médiateur, j’insiste sur la déontologie, et en particulier sur les principes d’impartialité et de libre adhésion.
Le médiateur se doit d’accueillir en conscience chacun des acteurs, quelle que soit la posture adoptée. Son objectif est de les faire évoluer au fil du processus. Pour cela, il accompagne chaque personne dans l’accueil de ses propres émotions (pouvoir libérateur), il participe à clarifier et structurer les pensées en aidant chacun à faire le lien entre ressentis et besoins profonds, puis il suscite le questionnement pour que les personnes puissent prendre du recul par rapport à la situation.
Le médiateur doit impérativement travailler sur lui-même pour se détacher de « l’histoire » racontée par le demandeur et accueillir le demandé dans la plus grande impartialité. De la même manière, il devra s’extraire de la « vérité » du demandé, dans la perspective d’une médiation. Fidèle à la devise « je sais que je ne sais rien », le médiateur ne doit pour autant pas « s’effacer ». Son atout : ne pas travailler sur le « fond » mais bien sur la relation, en l’occurrence le sens des mots et des actes, ce qu’ils signifient pour l’émetteur et la manière dont ils ont été perçus.
Assumer totalement ses émotions (capacité « d’indépendance émotionnelle ») et ne pas être à la recherche de LA vérité: deux clefs qui permettront au médiateur de se sentir plus léger !
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